En 1991 le philosophe/anthropologue français Bruno Latour lança un appel à convoquer un Parlement des Choses. Depuis 2015 plusieurs personnes ont entamé l’organisation d’un tel parlement : un endroit physique, un site web, une histoire, un rêve, un bâtiment, un rituel ? Un architecte et un directeur de théâtre sont en train d’élaborer concrètement le projet : « un espace où des bactéries, des écureuils, des lacs, des gens, des fougères se rencontrent pour prendre des décisions ensemble ».
Le Parlement des Choses serait avant tout une manière d’échapper eux soucis et aux angoisses à propos du changement climatique. En ce moment, les réactions dominantes au changement climatique sont ou bien apocalyptiques, ou bien on met tout espoir sur une sorte de solution technologique. Les gens du Parlement des Choses par contre veulent examiner et critiquer l’opposition entre nature et culture qui sous-tend ces deux réactions. Leur procédure pourrait paraître ludique et joyeuse, mais le point de départ est bien sérieux.
Aujourd’hui, un groupe de personnes autour du directeur de théâtre à Amsterdam est en train d’esquisser des rituels pour transformer des participants en montagne, ou en forêt, ou en poisson rouge – n’importe – et leur mettre à disposition des moyens de communication pour s’exprimer. Il est clair que la communication au Parlement des Choses ne sera pas évidente. Il se peut que la Mer du Nord introduise une affaire contre les humains, en invoquant que les intérêts humains sont beaucoup trop dominants. Alors les algues pourraient réagir : « Bof, cela ne nous dérange pas ; en tout cas, nous, on survivra toute manigance humaine. » Mais quoiqu’il arrive, l’idée est de juger des intérêts de la Mer du Nord en partant d’une perspective beaucoup plus large que celle de l’économie ou même de la durabilité. C’est du bien-être de la mer elle-même qu’on devrait tenir compte. Et cela requiert de la part des humains de considérer les non-humains comme des acteurs autonomes avec leur propre rythme et leurs propres systèmes de valeurs.
Tiré par les cheveux ? Non, pas vraiment. Si une entreprise peut bien être une personne juridique, pourquoi pas la mer? Il y a des précédents. La constitution Equatorienne reconnaît les droits de sa forêt tropicale en tant que système écologique. Récemment, une rivière Nouvelle-Zélandaise, la Whanganui, est devenue une personne juridique. Aux Etats Unis il y a cette vieille histoire d’un général qui retourne de la guerre civile. Tellement heureux et reconnaissant il était de retrouver devant sa maison familiale le vieil arbre qui était déjà là avant son départ, qu’il décida de lui donner la liberté. Il rédigea un acte dans lequel il concéda la parcelle sur laquelle l’arbre se trouvait à l’arbre lui-même. Le vieil arbre est mort aujourd’hui, mais il y en a un nouveau au même endroit, à Athens, Georgia, toujours connu sous le nom de The Tree that Owns Itself.
Le Parlement des Choses se considère en tant que partie d’une longue histoire d’émancipation, au même niveau que celle des noirs ou des femmes qui eux/elles aussi ont dû lutter pour devenir des sujets politiques. Bien sûr, il n’est pas aisé de s’imaginer les animaux et les choses comme sujets. Une voie à suivre pourrait être l’élaboration de l’analogie avec les enfants : les enfants possèdent une personnalité, des intérêts et des droits, mais ils ne sont pas en état de se représenter juridiquement eux-mêmes. C’est pourquoi on a développé un système de tuteurs. Pourquoi pas instaurer la possibilité de devenir tuteur légal d’un animal particulier ou d’un objet naturel ? Evidemment, il y aura des problèmes : des problèmes de démarcation (est-ce que des sous-espèces peuvent revendiquer leur propre statut ?), des problèmes d’appréciation (est-ce que chaque voix a la même valeur ?). On peut même se demander si une légalisation des choses naturelles soit la voie la plus adéquate à suivre. Mais au moins, se poser ces questions est déjà une expérience fascinante.
Le Parlement des Choses devrait être un espace public où les gens communiquent avec des non-humains à base égale. Un parlement est un endroit où l’on fait des lois. Dans ce sens, c’est un endroit de pouvoir. Mais c’est également un lieu de communication, qui a plutôt à voir avec l’éthique et la spiritualité. Même si aujourd’hui, on ne sait pas encore où aboutira ce procès, on peut tout de même espérer d’en sortir plus cultivé en se posant ces problèmes et questions.
Texte basé sur une interview de Thijs Middeldorp : ‘The Parliament : A New Public Space’