contre-attaque

Trente milliards d’euros, c’est le montant que des pratiques d’évasion fiscale feraient perdre chaque année à l’état belge. Pour comparaison, le budget annuel de l’éducation en Communautés française et flamande est de l’ordre de 20 milliards d’euros. Les Dubaï Papers, quelques 16.000 documents révélés par un lanceur d’alerte en 2018, ont établi le rôle crucial d’experts-comptables, avocats fiscalistes et réviseurs d’entreprise dans l’organisation mondiale de ces magouilles. En ce qui concerne le volet belge de ce dossier, l’organisation Attac a déposé des plaintes déontologiques contre trois organisateurs bien connus. Chaque citoyen, toute organisation peut se joindre à ces plaintes d’une manière simple, gratuite et sans risque.

En 2019 le journaliste Frédéric Loore publie sur Paris Match un ample dossier sur le volet belge des Dubaï Papers, révélant des noms d’individus et d’organisations impliqués dans cette évasion fiscale à grande échelle. D’un point de vue politique ou social, il ne faut pas se laisser tromper par la distinction entre évasion et fraude fiscale. L’évasion fiscale serait la pratique d’un contribuable de diminuer au maximum sa dette fiscale en utilisant des procédures légales, tandis que s’il recourt à des pratiques illégales, on parlerait de fraude fiscale. L’objectif et les résultats sont pourtant les mêmes : ne pas payer ses impôts légitimes. On a vu encore très récemment – et aujourd’hui encore, d’ailleurs – pendant la crise du covid-19 les ravages qu’ont causés les politiques d’austérité qui depuis des décennies mettent à mal les services publics sous prétexte qu’il n’y a pas d’argent. Alors, comme l’écrit Jean-Claude Garot sur Pour en décembre 2019 :

Face à une évasion fiscale énorme et en croissance continue, face à des inégalités de plus en plus insupportables (la Belgique a l’un des taux de pauvreté des enfants les plus hauts d’Europe : 40% des enfants grandissent dans la pauvreté à Bruxelles, 25% en Wallonie et 10% en Flandre), face au délabrement de tous les services publics, il ne faut effectivement pas attendre le déroulement d’un procès (l’État Belge s’est constitué tout récemment partie civile) qui va durer de longues années à l’instar de la fameuse affaire dite des « sociétés de liquidités » qui a duré 20 années de 1995 à 2015 avec les mêmes organisateurs que ceux impliqués dans les Dubaï Papers de 1985 à 2018 et qui sauront utiliser au mieux les recours de toute nature, les procédés dilatoires et autres manœuvres destinées à jouer avec les délais de prescription.

Mondialement, il y a toute une industrie de l’évasion fiscale, qui n’inclut non seulement les grands cabinets d’audit financier (KPMG, Deloitte, PWC et Ernst & Young), mais également des experts-comptables belges comme Guy Ollieuz, ou des avocats fiscaux comme Thierry Afschrift et Arnaud Jansen. A propos de ces deux derniers, Pour note :

Maître Thierry Afschrift est le pape du « No Tax », il fait valoir son idéologie dans nombre de médias, enseigne depuis 41 années à l’ULB/Solvay, est juge conseiller suppléant auprès de la Cour d’Appel de Bruxelles (6ème Chambre fiscale) depuis au moins 20 années sans discontinuer et conseille à ses heures le gouvernement. Maître Arnaud Jansen a quant à lui été très impliqué au Barreau en tant que membre du Conseil de l’Ordre de 2002 à 2006 ; à ce jour il est membre du conseil de discipline des Barreaux Francophones du ressort de la Cour d’Appel de Bruxelles et membre assesseur au conseil de discipline pour le Barreau de Bruxelles. Il est par ailleurs candidat à la succession du Bâtonnier en 2020.

L’initiative innovante de la part d’Attac (à laquelle peut donc participer tout.e citoyen.ne ou organisation solidaire) consiste en des plaintes déontologiques auprès de l’Ordre des avocats du Barreau francophone de Bruxelles d’une part, et auprès de l’Institut des Experts Comptables, d’autre part. Dans les trois cas, la plainte vise à ce que le bâtonnier ou le président de l’Institut apprécie l’extrême gravité des faits au regard des règles déontologiques qu’il a pour mission de faire respecter (les Dubaï Papers mettent en évidence entre autres le recours à de fausses factures et à des factures antedatées).

Chacun peut se joindre à ces procédures. Attac a mis sur son site trois modèles de plaintes spécifiques à propos d’Afschrift, Jansen et Ollieuz (voire sous Comment porter plainte en tant que personne physique ?). Perso, je ne suis pas très heureux avec la formulation que suggère Attac, mais comme l’organisation le spécifie elle-même : « (facultatif mais encouragé) personnalisez le message avec des éléments qui vous tiennent à cœur ». (Et n’oubliez pas de joindre une photocopie de votre carte d’identité.)

Donc : dans les plaintes contre les avocats, je ne mentionnerais pas « l’article paru le 17 décembre dernier dans la Libre Belgique», que je ne connais pas, mais je me tiendrais aux articles de Frédéric Loore sur Paris Match. Et deuxio, je ne suis en général pas partisan de punition, plutôt de réparation. Exiger que quelqu’un soit puni n’est pas mon style. Par contre, le texte du courriel à propos de l’expert-comptable Ollieuz me paraît beaucoup plus civilisé et correct, et je formulerais donc une variante de ce texte-ci pour ma plainte auprès du bâtonnier bruxellois.

Pour terminer, je cite encore une fois Jean-Claude Garot, qui exprime clairement ce qui est en jeu :

Intervenir dès maintenant dans le cadre de plaintes déontologiques, c’est s’inviter dans le processus d’une affaire qui, sinon, échapperait complètement à la société civile, prendre à témoin une communauté de 4.839 avocats francophones, mettre sur le devant de la scène les organisateurs de l’évasion fiscale, les concepteurs du système qui pille les nations et c’est en cela contribuer de manière beaucoup plus efficace au combat contre la fraude et l’évasion fiscale qu’en se limitant à la seule dénonciation des bénéficiaires.

S’emparer du dossier des Dubaï Papers, c’est aussi lui donner une dimension politique qu’il n’a pas aujourd’hui : la Belgique est un paradis fiscal pour les riches, mais il n’empêche qu’elle est aussi victime d’évasion fiscale à grande échelle de la part des riches qui considèrent qu’il existe des paradis encore plus attrayants. Et cela, les Dubaï Papers le démontrent sur une longue période de 1985 à fin 2018, pendant laquelle le citoyen entendait ses dirigeants clamer leur volonté de lutter contre l’évasion fiscale. Les Dubaï Papers sont la parfaite démonstration du choix délibéré d’une infime minorité, le « gratin de la société », de ne plus faire société, avec l’aide d’avocats fiscalistes chèrement rémunérés.

S’emparer du dossier permet aussi de dénoncer à quel point tant le citoyen que la magistrature ont été abusés par les protagonistes de l’affaire dite des « sociétés de liquidités » qui sont les mêmes que ceux de l’affaire des Dubaï Papers : pendant que se déroulait sur 20 années l’instruction et le procès des « sociétés de liquidités », ceux qui étaient mis en accusation et ceux qui les défendaient continuaient d’agir de concert pour servir les intérêts de riches clients dans le cadre d’un vaste système international d’évasion fiscale frauduleuse. La parution des articles du journaliste indépendant Frédéric Loore a permis de relater les chronologies entrecroisées des deux affaires. Leur lecture est proprement stupéfiante et ne peut que laisser pantois même les plus avertis et les plus cyniques face à tant d’impostures.

Il n’existe pas d’autre moyen pour s’emparer de ce scandale que de faire comme Attac et de porter plainte auprès du Bâtonnier de l’Ordre Francophone des avocats du Barreau de Bruxelles. Tant les associations que les personnes physiques sont en droit de le faire. Ne pas le faire, c’est renoncer à une opportunité unique.

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