colonialisme vert

Depuis longtemps chacun.e en Europe occidentale est en mesure de suivre toutes sortes d’infos à propos de la covid-19 et la consommation d’animaux sauvages, de zoonoses et des effets de la pandémie pour le tourisme, ou des conflits entre agriculture et gestion des ressources naturelles. Dans un long article sur Africa is a country l’ « écologiste carnivore » Kényan Mordecai Ogada se penche sur les relations entre protection environnementale, tourisme et survie dans le Kenya d’aujourd’hui. Son texte commence par souligner l’hypocrisie occidentale dans la critique sur la façon dont les Chinois se comportent par rapport à de la nourriture vivante. Mais après, Ogada se tourne vers la situation dans son pays. Je reprends son texte dans ses grandes lignes.

Depuis cent ans, le Kenya est un exemple type de tout ce qui va bien ou mal en Afrique dans la relation entre gestion environnementale et tourisme. (Dans les médias surgissent encore toujours des photos de gars (m/f) posant fièrement sur un lion ou un éléphant qu’ils ont tué pour le sport, mais savez-vous que pendant un safari en 1909 le président étatsunien Theodore Roosevelt et sa compagnie ont réussi un vrai carnage en abattant plus de 11.000 animaux, dont plusieurs espèces des « cinq grands »: lion, léopard, éléphant, buffle et rhinocéros ?) Mais bon, à cause d’interdictions de voyager et de confinements le tourisme en Kenya s’est pratiquement effondré. Comme il n’y a plus de touristes étrangers, les installations existantes ont un besoin urgent de clients autochtones et locaux – un public que l’on ne voulait à peine connaître auparavant.

C’est surtout dans les réserves naturelles que la tragédie se déroule vraiment. C’est là en effet que les ONG de protection environnementale ont depuis longtemps sorti le grand jeu à convaincre des communautés réticentes de pasteurs et d’éleveurs à partager leur aménagement avec les animaux sauvages. Il fallait bien alors que ces communautés renoncent à leurs moyens de vivre et à leur identité basée sur l’élevage. Pour les environnementalistes le paysage n’appartiendrai pas aux hommes, mais au monde des animaux. De toute façon, ce décor naturel ne contient pas de valeur culturelle intrinsèque, de sorte que, comme les touristes, eux s’intéressent à la faune sauvage, il serait mieux pour les éleveurs de faire appel à ces passants-là pour contribuer à leur subsistance. En contrepartie de subventions (argent gratis !) les communautés locales se retireraient vers les bords du décor et mettraient les plus belles parties à disposition des animaux sauvages, qui de leur part attireraient les touristes. Il ne leur restera que de jouer les gardiens, garçons, cuisiniers, etc.

Depuis la flambée de la covid-19 ces communautés locales souffrent de plusieurs formes de pauvreté. Maintenant que le tourisme s’est effondré, elles dépendent de distributions alimentaires. Chacun ne comprenant qu’un brin de l’économie de l’élevage sait, selon Ogada, qu’il a toujours été inconcevable pour une communauté de pasteurs et d’éleveurs d’être dépendante de distributions alimentaires. Mais le culte de la protection de la nature a sapé la résilience de communautés entières. Deux cents ans après la première invasion, l’Occident a réussi encore à mettre l’Afrique à genoux en la rendant dépendante.

Le monde devrait se rendre compte de la menace qui émane du mouvement mondial de protection de la nature comme il s’est développé à l’Occident. La façon dont il poursuit ses objectifs est impitoyable et elle manifeste selon Ogada toutes les caractéristiques d’un culte. D’un côté la jeunesse africaine se débat avec les visions de nonagénaires occidentaux comme David Attenborough, qui dans ses docus nature néglige consciemment les populations humaines ; de l’autre côté les dirigeants africains se laissent sermonner par une adolescente européenne dont l’assurance éloquente et le manque de compréhension ne laissent aucune place au moindre doute de soi-même. Et tandis que des étudiant.e.s africain.e.s peinent à se faire entendre dans le monde académique, ils et elles sont confronté.e.s à des théories dérisoires selon lesquelles la moitié de la terre devrait être protégée en faveur de la biodiversité. Ce que l’on omet à dire est que cette moitié se situerait majoritairement dans le Sud mondial, vu que c’est là que se trouve en premier lieu une biodiversité assez importante pour des mesures tellement draconiennes. Les Nations Unies et d’autres instances internationales, comme la Convention pour la Diversité Biologique, semblent avoir repris l’idée. On propose maintenant d’élargir la proportion du paysage global qui serait soumise à des mesures de protection environnementale de 14 % à 30 %. Pour Ogada, réaliser un tel objectif reviendrait à du génocide.

Ce petit texte est basé sur des fragments de l’article What Chinese people eat. J’ai publié la version originale en néerlandais le 16 novembre, mais voilà que deux jours plus tard je trouve sur Le monde diplomatique dans la rubrique des livres du mois le texte suivant d’Ali Chibani.

L’invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’éden africain

Guillaume BlancFlammarion, Paris, 2020, 352 pages, 21,90 euros.

Précis et exhaustif, Guillaume Blanc, historien de l’environnement, décrit la manière dont, en Afrique, la transformation d’espaces agropastoraux en parcs naturels est encouragée par des organisations nées dans le contexte colonial. Investis par d’anciens administrateurs coloniaux, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le Fonds mondial pour la nature (WWF), l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco)… multiplient les actions motivées par le mythe de la « forêt perdue » dans une « Afrique plus naturelle qu’humaine », éden « à protéger contre des Africains destructeurs ». Appauvries et dépendantes du tourisme, les populations autochtones sont aussi expropriées à la demande d’organisations internationales qui exigent l’abolition des « droits humains individuels » dans les parcs naturels. L’exemple du parc national du Simien, en Éthiopie, témoigne du remplacement du « fardeau civilisationnel de l’homme blanc » par le « fardeau écologique de l’expert occidental ». L’auteur n’oublie pas de rappeler la complicité des dirigeants africains, avides « de la reconnaissance des institutions internationales et de leurs aides financières ».

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