La nouvelle édition du Dictionnaire des belgicismes mentionne sous l’entrée Égalité : « [egalite] n.f. Sur pied d’égalité –> pied. »
Et en effet, sous Pied on lit notamment : « 3. … – Sur pied d’égalité loc. nom. m. (= locution nominal masculin) Sur un pied d’égalité. Les candidats seront sur pied d’égalité. … Ces locutions se caractérisent par l’absence du déterminant, lequel est présent en fr. (= français) de référence : … sur un pied d’égalité. »
Jusque-là pour ce qui concerne la spécificité linguistique, mais qu’est-ce que ça signifie au fond, « sur pied d’égalité » ? Voilà justement qu’en 2015 le Dictionnaire collectif de la langue de bois se penche sur le concept d’égalité des chances – une notion chère à tous les libéraux bien-pensants, qu’ils ou elles soient nationalistes ou pas. Je rédige un quelque peu le texte original pour l’éloigner un brin du contexte particulier français.
Après avoir éliminé Robespierre, la réaction thermidorienne de 1795 met fin à la révolution et à l’idéal d’une société dans laquelle l’égalité serait réalisée. Mais comment consacrer le retour de l’inégalité, de l’argent, de l’aristocratie, de la fortune, de la propriété sans que le peuple ne reprenne les armes ? Comment abandonner l’égalité sans que cela ne se voie ? En l’appelant : « l’égalité des chances ».
L’égalité des chances est le mot qui veut dire « inégalités ». Tels le lapin et la tortue, nous sommes donc « égaux » sur la ligne de départ. Nous avons virtuellement les mêmes « chances ». En entrant à l’école, Bastien dont le père est banquier, et Mohammed, dont le père est chômeur ont donc les mêmes « chances ». Il est évident que si Bastien intègre une grande école (ou une université) et Mohammed ne dépasse pas la troisième professionnelle, ce n’est que le résultat de leur mérite propre. L’un n’a pas su, ou pas voulu utiliser les « chances » que l’on avait mises à sa disposition en égale proportion avec l’autre. (Ces jours-ci, on commence à se rendre compte de qu’il y a assez de Bastien qui sortent des grandes écoles ou des universités – les Fatima ne manquant pas non plus – mais que ce seraient plutôt les Mohammed techniciens qui sortent des formations professionnelles qui forment un atout essentiel pour la société.)
Quand l’un et l’autre doivent raconter leurs vacances dans une rédaction, c’est un pur hasard si les parents de Bastien et le professeur possèdent la même culture, partagent les mêmes codes, les mêmes modes de vie, et aiment tous les deux les mêmes vacances : marcher dans le Cantal plutôt que de s’entasser au camping des flots bleus et faire du babyfoot au café de la plage. Ou encore rester jouer au foot tout l’été sur la dalle de l’immeuble. (Ben, il ne faut pas surestimer le niveau culturel des enseignants.) Si la rédaction de Bastien (à qui sa maman a appris à reconnaître les chants d’oiseaux dans les forêt du Cantal – mais oui, pourquoi pas ?) reçoit une meilleure note, c’est parce que Mohammed n’a pas voulu faire l’effort de raconter dans des termes joliment et littérairement tournés ses journées d’été occupées à traîner dans son hall d’escalier.
Comme tous ces mots à dépolitiser les rapports sociaux, « l’égalité des chances » est une machine à nous faire croire que cette société offre à tous une égale opportunité et que nous sommes seuls responsables de notre situation. Il n’y a plus de patrons pour nous exploiter, seulement des individus qui ont voulu ou pas saisir leurs chances. Le problème de l’égalité n’est pas de rentrer mais de sortir égaux, pas de démarrer mais de finir égaux. C’est une toute autre tâche !