L’auteur néerlandais Arnon Grunberg écrit: « Als je onomstreden bent geworden ben je een lijk. » (Si vous n’êtes plus controversé vous êtes un cadavre – ‘Een beschaafde orgie’). Oui, peut-être, mais l’inverse n’est pas nécessairement vrai : ce n’est pas parce que vous êtes un cadavre, que vous ne pouvez plus être controversé. Quoi qu’il en soit, cela me rappelle ce dicton de l’anarchiste historique Gérard de Lacaze-Duthiers : « L’Action, c’est la Vie ; l’Inaction, c’est la Mort. »
Lacaze-Duthiers (1876-1958 ; pour une biographie concise, voire le Dictionnaire des militants anarchistes) fut l’un des contributeurs à l’Encyclopédie anarchiste. Cette encyclopédie, conçue et dirigée par Sébastien Faure, fut publiée entre 1925 et 1934. Elle comptait plusieurs centaines de collaborateurs, et bien que jadis seul le premier volume fut publié en quatre tomes, la version contemporaine en pdf compte 8450 pages.
Voici dans son entièreté le préambule :
L’ENCYCLOPÉDIE ANARCHISTE est placée sous la direction de SÉBASTIEN FAURE.
La Rédaction en est assurée par : des théoriciens, militants et écrivains anarchistes ; des théoriciens, militants et écrivains syndicalistes ; des théoriciens, militants et écrivains révolutionnaires ; des spécialistes et techniciens sans parti.
Bien-être pour tous ! Liberté pour tous !
Rien par la contrainte : Tout par l’entente libre !
Tel est l’Idéal des Anarchistes.
Il n’en existe pas de plus précis, de plus humain, de plus élevé.
L’ENCYCLOPÉDIE ANARCHISTE n’est pas une entreprise commerciale, c’est une œuvre d’éducation libertaire.
Ceux qui la rédigent et ceux qui la publient n’ont en vue que la satisfaction – qu’ils placent au-dessus de tout – de propager partout les sentiments et les convictions qui les animent et auxquels ils ont consacré leur vie.
A tous ceux qui, bravant les privations, les calomnies et les persécutions, militent, où que ce soit, pour assurer et hâter l’avènement d’une société anarchiste, cet ouvrage est fraternellement dédié.
L’ENCYCLOPÉDIE ANARCHISTE est destinée aux millions de parias de toutes nationalités qui souffrent de la détestable organisation sociale dont, matériellement et moralement, ils sont les victimes.
Ils y trouveront les lumières et ils y puiseront l’énergie qui leur seront nécessaires lorsque, animés de l’Esprit de Révolte, ils seront résolus à se libérer.
« Ni Dieux, ni Maîtres »
Vous tous, qui êtes courbés sous le joug de l’État, du Capital et des Églises, sachez que le Salut est en vous, tout en vous, rien qu’en vous !
Lacaze-Duthiers alors. Parmi plusieurs autres, il a aussi formulée l’entrée « action » :
ACTION n. f.
« Au commencement était l’action » dit Gœthe. Ce qui distingue les vivants des morts. Ne pas agir, c’est ne pas vivre, c’est se suicider. Agir, c’est penser, c’est créer, c’est traduire en réalité positive les besoins, les aspirations, les désirs, les volontés qui nous agitent. L’Action est à l’écrit et à la parole ce que le fruit est à l’arbre. Le verbe et l’écrit seraient vains s’ils ne faisaient pas naître le Geste. L’Action provoque un retentissement, constitue un exemple, possède une puissance d’entraînement incomparables. L’action réelle est profonde et dédaigne l’artificiel. Elle n’est pas une simple apparence, elle est un fait sensible, réel, concret. Elle peut être silencieuse et se développer dans l’ombre et le mystère ; elle ne s’aperçoit pas toujours et nécessairement ; mais toujours elle crée et c’est dans la mesure où elle enfante qu’elle s’affirme : noble, forte et belle. Les actions les plus humbles sont souvent les plus admirables ; elles ne s’inquiètent ni du bruit, ni de l’éclat ; elles opèrent dans l’obscurité souvent plus et mieux qu’en pleine lumière. Elles ne requièrent point l’apparat théâtral qui diminue fréquemment la sincérité et le désintéressement de ses auteurs. On dit : « c’est un homme d’Action » pour désigner un homme énergique, aimant la vérité, attaché à la justice et décidé à lutter âprement pour elles et à les faire triompher. Les hommes d’action sont rares, bien plus rares que les bavards et les déclamateurs. Beaucoup passent pour des « hommes d’action » qui ne sont même pas des hommes, mais des bornes inertes sur le chemin de la vie. L’Action, c’est la Vie ; l’Inaction, c’est la Mort.
Et le belgicisme dans tout ça ?
La nouvelle édition du Dictionnaire des belgicismes contient également une entrée « action » :
Action, n.f.
Opération de promotion publicitaire, à visée commerciale. Action de la semaine/du mois. Action spéciale pour les fêtes de fin d’année. Action spectaculaire sur les vins et spiritueux.
(…)
Vitalité moyenne mais croissante, tant en Wallonie qu’à Bruxelles. – Le néerl. standard actie littéralement « action », revêt également le sens de « vente promotionnelle » (enregistré dès 1992).
Action est un emprunt à l’allemand Aktion « vente promotionnelle », qui s’est diffusé en Belgique francophone dans les années 1990, notamment par l’intermédiaire de prospectus publicitaires émanant de chaînes commerciales germanophones (localisées en Allemagne ou au grand-duché de Luxembourg).
Mais où est donc la relation entre ce belgicisme et « l’action » prônée par Lacaze-Duthiers ?
En Belgique contemporaine, sont mort.e.s celles et ceux qui ne s’identifient pas comme consommateurs modèles en ne profitant pas pleinement des actions qui leur sont lancées à la figure quotidiennement par le commerce. « L’Action, c’est la Vie », plus que jamais, depuis 1992.